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Journal d'un Schizophrène
24 juillet 2016

La cage

cage closeJ'étais en train de fumer à la fenêtre et par mes volets entre ouvert, et j'ai vu cette fille, assise avec son chien devant la boulangerie en face de chez moi. Elle faisait la manche. Elle était très jeune, à peine une vingtaine d'années. Elle ne semblait pas trop abîmée par la rue. En fait, je ne suis pas certain que ce soit une sans domicile fixe. On aurait dit qu'elle faisait la manche occasionnellement, pour arrondir les fins de mois. C'est assez courant. J'en sais trop rien, mais j'ai côtoyé la misère de tellement près quand j'étais à la rue que j'ai remarqué que, où que l'on aille, la pauvreté a la même odeur et la même apparence. Elle, elle semblait sentir bon, ou pas trop mauvais. En tout cas, elle faisait propre sur elle.
En voyant son chien, j'ai repensé au mien. Je l'avais eu pour mes six ans. J'aimais beaucoup mon chien. Le seul tors qu'il a eu, le pauvre, c'est d'avoir atterri dans ma famille. Il a vécu pratiquement toute sa vie derrière une cage, une cage que mon père avait bien pris soin de fabriquer. Elle devait mesurer quatre mètres de longueur sur deux mètres de côté. Le sol était en béton et les cloisons étaient en fer forgé. Mon père aimait ce qui se voit. Il a soudé, barre après barre, tous les éléments que cette abomination et mon chien a tourné en rond pendant des années là-dedans. Je le sortais de temps en temps, mais pas assez, je dois bien l'avouer. Malgré ses conditions de vie, ce chien m'aimait. Il me faisait la fête à chaque fois qu'il me voyait. Il me guettait de loin lorsque je rentrais de l'école et je l'entends encore aboyer lorsqu'il me voyait surgir du virage de la ruelle à quelques mètres de la maison. J'allais le voir et je passais ma petite main entre les barreaux froids pour le caresser et lui donner des petits gâteaux.
Je ne sais pas pourquoi je ne me suis jamais révolté de cette aberration. Ce n'était pas humain de laisser un chien en cage 24 h sur 24 et sept jours sur 7. J'étais sous l'emprise de la coupe paternelle et il s'était donné beaucoup de mal pour fabriquer cet enclos que j'ai finalement « admis » que ça devait être normal. Quel imbécile j'ai été ! Je n'ai pas vu qu'à travers mon chien, ce chien que j'aimais, il appliquait son schéma de domination. J'étais comme mon pauvre chien, enfermé dans une cage qui, celle-ci, n'avait pas de barreaux, mais des murs et frontières psychologiques. Pour faire court, mon père était un idiot, mais il utilisait le peu d'intelligence qui circulait dans son crâne pour que toute la famille soit sous son joug. On dépendait de lui puisqu'il était la seule source de revenus et que ma mère n'avait jamais travaillé. Maman, elle, elle nous a élevés et aimés, moi et mes sœurs, et elle a subi toute sa vie, elle aussi, la cage psychologique de mon père. Quelles que soient les strates de la vie familiale, mon père voulait le pouvoir et l'autorité sur tout, mais le pire, c'est qu'il était sadique et qu'il y prenait son pied. Les jours où il n'était pas d'humeur et qu'il buvait un verre de trop, on avait droit aux chantages affectifs. Il menaçait de se tuer ou de faire du mal à ma mère. J'ai vécu mon enfance et mon adolescence baignée dans les insultes proférées contre ma mère, les crises de nerfs et les frustrations d'un père colérique. C'était cyclique. On avait droit au psychodrame au moins une fois par mois. C'était vraiment usant de vivre de terribles soirées d'insultes et de menaces. Je me couchais avec la peur au ventre à chaque fois. J'étais jeune et vulnérable. Je me disais qu'un jour, il finirait par mettre ses menaces à exécution et qu'il viendrait pendant notre sommeil nous tuer, les uns après les autres en commençant par ma mère. Alors, quand il pétait les plombs un peu plus violemment qu'à la normale, je poussais la porte de ma chambre et j'étalais par terre des poches de supermarché. Je me disais que s'il rentrait pendant que je dors et qu'il marchait dessus, j'entendrais le froissement des poches et ainsi, je pourrais m'échapper et sauver mes sœurs. Quand j'y pense, je me dis que l'insouciance de mon enfance s'est évanouie le jour où j'ai semé pour la première fois ces sacs de supermarché en plastique dans ma petite chambre vétuste.

Je repense à mon chien et je me dis que j'aurais dû le libérer et m'enfuir avec lui, loin de toute cette merde qui a déclenché des choses en moi.

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Commentaires
S
Tu as vécu un traumatisme ... ma psy disait qu'on s'attend à un père protecteur et non pas un père hors de contrôle qui nous traumatise ...
Journal d'un Schizophrène
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