Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Journal d'un Schizophrène
27 juillet 2016

L'origine du père - #3

calme_tempeteJ'ai 13 ans. L'ambiance à la maison commence à avoir des répercussions sur mes résultats scolaires. Difficile d'être d'attaque pour aller en cours lorsque la veille, ton père, ivre une fois de plus, pète les plombs jusqu'à deux heures du matin. Ainsi, il faut faire bonne figure devant tes camarades de classe même si tu as des cernes sous les yeux et faire comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes en simulant que ta vie était sans l'ombre d'un nuage. Rien ne transparaissait de moi. Je me comportais comme un jeune bien dans sa peau et bien dans sa tête, mais à l'intérieur je hurlais au désespoir.

En dehors des cours, je me renseignais, à droite à gauche, discrètement, sur le moyen de quitter ma famille légalement. Je ne posais pas directement les questions aux gens. Je faisais mine d'être curieux pour quelqu'un que je connaissais tout en étant le plus vague possible. Les conclusions furent toutes les mêmes : faire un signalement aux services sociaux. Mais ça, ce n'était pas envisageable. Ça aurait eu beaucoup trop de répercussions sur mes sœurs et ma mère. On aurait été inévitablement placé dans des familles d'accueil ou que sais-je encore, et ma mère se serait retrouvée privée de ses enfants et il en était hors de question. J'étais dans l'impasse. Je n'avais pas de solutions.

Je me sentais comme un enfant que l'on sacrifiait sur l'autel et qui n'avait pas d'autre choix que d'accepter son sort. Le seul îlot de réconfort que j'avais au milieu de toute cette confusion existentielle, c'était l'amour de ma mère. La pauvre. Elle a tellement souffert, elle aussi. Elle me donnait de l'affection, des câlins et elle me consolait quand ça n'allait pas. C'est à cet âge-là, je crois, que j'ai commencé à développer de fortes angoisses qui me provoquaient d'insupportables crampes d'estomac. Il fallait que mon anxiété se traduise quelque part, ailleurs que dans de la violence gratuite, car je n'étais pas du genre à mettre des coups de poing dans les murs tout en gueulant pour me calmer, alors c'est mon corps qui s'est crispé, silencieusement.

Quand je rentrais des cours et que j'étais assis dans le bus qui nous ramenait chez nous, je sentais le stresse grandir à chaque kilomètre qui me rapprochait de la maison. Cependant, les quelques heures, qui séparaient l'arrivée de mon père après le travail, étaient précieuses. Ainsi, je pouvais parler à ma mère de ma journée à l'école et rire avec mes sœurs. J'avais le cœur léger pour une fois, en famille, et je relâchais un peu les nerfs. Puis, lorsque la pendule affichait 19 h, ma joie de vivre s'évaporait. En général, à cette heure-là, j'étais devant la télévision, le volume au minimum et j'attendais. Quand le bruit du moteur de la voiture de mon père résonnait dans l'allée du garage, c'était le diapason de l'ambiance de la soirée. S'il le faisait ronfler avant de l'éteindre, ce n'était pas très bon signe, et s'il montait les marches avec le pied lourd avant d'ouvrir la porte d'entrée, notre sort était scellé. L'arrivée de mon père, c'était comme un flingue chargé à l'aveugle. Quelquefois, tout semblait normal, dans un calme tout relatif et cinq minutes plus tard, alors que tu pensais presser la détente du pistolet confiant de ne pas te prendre une balle dans la tête, la détonation t'emporte le cerveau. D'autres fois, c'est l'inverse. À peine arrivé, les balles fusent de tous les côtés et il n'en finit pas de recharger son arme du mépris pour nous arroser de salves encore plus virulentes les unes des autres, quand soudain, un miracle se produit. On entend à la télévision que ce soir, un film avec Louis de Funès va commencer. Le calme s'installe enfin, brusquement, aussi violemment qu'il avait commencé. Mon père s'assoit dans son fauteuil, allume une clope et regarde le film. Moi et le reste de la famille, on a encore les oreilles qui bourdonnent et qui sifflent à cause des hurlements. On se regarde, un peu sonné, comme après une scène de combat. On compte les blessés, et surtout, on la ferme, on ne dit rien, on marche sur la pointe des pieds. On ne fait rien qui puisse perturber le monstre qui rigole devant Louis de Funès, son acteur comique préféré. On ramasse les bouts de verre et l'on remet un peu d'ordre dans la pièce dans un silence religieux. On s'assoit sur le canapé, chacun ayant sa place attitrée. Moi, ma place sur le canapé, c'était au bout à gauche, à côté du fauteuil de mon père. Putain ! Je détestais être assis à côté de lui après la « tempête », mais je n'avais pas le choix. Aucune de mes sœurs ne m'aurait cédé leur place. J'étais la zone qui les séparés du monstre quand on regardait la télévision. Ma mère, elle, elle était assise dans un fauteuil tout au bout à droite.
Le film se finit. Mon père nous dit « Au lit ! » et on part se coucher sans un mot. Malheureusement, demain, pas de film avec Louis de Funès, alors mieux vaut garder son gilet pare-balles sur le dos et prier pour avoir un peu de ciel bleu après une journée à l'école.

Publicité
Publicité
Commentaires
Journal d'un Schizophrène
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité